Souvent absents de la question du handicap, les frères et sœurs de personnes en situation de handicap sont généralement eux aussi affectés par ce handicap de façon indirecte. De nombreuses problématiques peuvent apparaître dans une fratrie où le handicap est présent au quotidien : trouver sa place, comprendre, s’adapter et adapter, affronter le regard extérieur, accompagner, communiquer sont autant de challenge auxquels doivent faire face les frères et sœurs de personnes en situation de handicap.
• Construction sociale, comportementale et psychique de l’enfant
D’après Régine Scelles, psychologue clinicienne et professeure de psychologie clinique et psychopathologique à l’université Paris Ouest-Nanterre, les enfants sont plus sensibles au ressenti de leurs parents qu’au concept de handicap. Les frères et sœurs d’enfant en situation de handicap vont donc d’abord construire leur vision du handicap à partir de ce que leurs parents vont exprimer sur le sujet avant de s’intéresser à une explication médicale plus détaillée. C’est à ce moment que la parole a toute son importance au sein du foyer, l’enfant a besoin de s’exprimer et d’éclaircir les lignes d’ombre afin de se représenter la situation vécue par la famille en conséquence du handicap.
• Mutisme émotionnel, culpabilité, honte et agressivité
Il est très fréquent que les frères et sœurs de personnes handicapées ne se sentent pas légitimes à exprimer leurs propres malheurs et s’enferment dans une solitude émotionnelle, souvent alimentée par un sentiment de culpabilité très fort. Cette culpabilité qui est commune à l’ensemble de la fratrie -y compris la personne en situation de handicap- trouve ses sources dans plusieurs phénomènes : l’impuissance face aux difficultés rencontrées par le frère/la sœur ou les parents, le sentiment d’être à l’origine du handicap, le sentiment d’avoir été épargné par la maladie, la jalousie éprouvée quant à l’attention reçue par le frère/la sœur, vouloir lui ressembler pour obtenir de l’attention, faire mieux que son frère/sa sœur, la différence, la honte des spécificités de sa famille, l’agressivité ressentie à l’égard de leur frère/sœur en situation de handicap… La culpabilité a une place conséquente dans les fratries touchées par le handicap, c’est un sentiment étroitement lié à la honte qui empêche d’exprimer des émotions naturelles et normales et qui entraîne un repli sur soi.
Parmi tous ces sentiments rejetés par culpabilité et honte, l’agressivité est celui qui peut poser le plus de problèmes pour la fratrie qui se sent injustement avantagée et qui a peur de blesser son frère/sa sœur en situation de handicap. Une agressivité non exprimée peut être reportée sur un tiers, sur soi ou être transformée en une sollicitude excessive à l’égard des autres.
• Les rôles
Les fratries peuvent développer un mécanisme de défense qui consiste à adopter un rôle parental pour le frère/la sœur en situation de handicap. En assumant un rôle de soutien à ses parents, la fratrie atténue sa culpabilité et restaure l’estime de soi mais elle se prive aussi du soutien de ses parents et assume des responsabilités trop lourdes pour son âge. C’est souvent la raison pour laquelle ces enfants nous paraîtront plus matures que leurs pairs du même âge et seront valorisés très tôt. Cette image d’enfant idéal peut toutefois cacher un noyau dépressif important.
Le rôle fraternel est, lui, parfois entravé par un surinvestissement d’un ou des deux parents qui empêche les enfants de créer des liens entre eux.
• Les relations fraternels : identification et différenciation
Les fratries de personne en situation de handicap peuvent connaître une difficulté à trouver un équilibre dans leur identité vis-à-vis du frère ou de la sœur en situation de handicap. En effet, selon Nicole Boucher et Muriel Derôme, psychologues, il arrive que la maladie ou le handicap soit assimilé comme un défaut monstrueux créant un sentiment d’anormalité, et, le frère ou la sœur venant des mêmes parents représenterait un double menaçant leur intégrité. Deux défenses extrêmes peuvent alors survenir face à cette menace : une identification totale ou une différenciation totale. Dans le deuxième cas, la coupure est telle que leurs similarités leur deviennent imperceptibles et le frère ou la sœur est davantage perçue au travers de son handicap qu’au travers de sa personne. Il/elle peut alors se retrouver exclue de sa fratrie, et son handicap considéré comme une barrière au lien fraternel.
• Libérer la parole
Les fratries de personnes en situation de handicap peinent à exprimer leurs ressentis face au handicap et à leur situation familial, c’est pourquoi des groupes de paroles et des lieux d’échanges entre frères et sœurs de personnes en situation de handicap sont organisés. Ce dispositif est mis en place par de nombreuses associations, fondations, centres de ressources et centres médicaux en France, même si cela manque encore sur la globalité du territoire.
Les réseaux sociaux, blogs, livres et podcasts sont également d’excellents moyens de créer des espaces de paroles libres et bienveillants. C’est ce qu’a fait Léa Hirschfeld avec son podcast Décalés, ou encore le célèbre rappeur Gringe (de son vrai nom Guillaume Tranchant) et son frère, Thibault, dans le livre Ensemble, on aboie en silence qui parle de leur fraternité bousculée par la schizophrénie de ce dernier.
L’essentiel est de parler pour éviter l’isolement, que cela soit au travers d’un groupe fratrie, d’un réseau social ou avec ses proches, libérer la parole des frères et sœurs de personne en situation de handicap est un sujet de réel préoccupation en psychologie.
Sources :